Il y a des moments où le quotidien devient flou. Où l’impression de tourner en rond ne vient pas de l’extérieur, mais d’un conflit plus discret : celui de ne pas réussir à poser ce qui est juste. Ce qui est vital. Ce qui définit un espace personnel clair.
Parler de limites, ce n’est pas évoquer une idée abstraite. C’est parler d’un ressenti très concret : un coussin qu’on ne veut pas partager, un morceau de poulet qu’on espérait garder, un silence qu’on aurait aimé prolonger. Ces signaux sont là, subtils, mais puissants. Ils parlent de territoire, de ressources, d’équilibre.
Tant que ces limites ne sont pas reconnues, le système intérieur compense. Par la fuite, souvent. Une fuite douce, qui dit « ce n’est pas grave » alors qu’en réalité, ça l’est. Car ce qui est en jeu, ce n’est pas le coussin. C’est la capacité à se respecter.
Durant l’enfance, le cadre est posé par les parents. Il est structurant, sécurisant. Et puis, à un moment, il faut le reprendre. Le redéfinir soi-même. Mais lorsque ce passage n’a pas eu lieu consciemment, un trouble s’installe. L’adulte attend inconsciemment qu’un autre vienne poser les règles. Ou les teste sans fin. Et l’équilibre se perd.
Être en capacité de dire : « Là, c’est mon espace. Là, je ne suis pas à l’aise. Là, j’ai besoin de retrouver ma place »… c’est une forme de maturité. Pas agressive. Pas violente. Mais claire. Vivante. Alignée.
Le problème n’est pas la limite en soi. Le problème, c’est l’absence de clarté autour de ce qui est prioritaire. Et pour le retrouver, il faut écouter : ce qui agace, ce qui dérange, ce qui resserre dans le ventre. Il ne s’agit pas d’imposer, mais de s’honorer.
La dépendance à la fuite naît souvent d’un manque d’ancrage. D’un territoire intérieur flou. Et parfois, cela remonte loin. L’enfant qui a compris qu’il valait mieux ne pas faire de vagues. L’ado qui a pris sur lui. L’adulte qui a appris à minimiser. Et le corps, lui, n’a jamais oublié.
Aujourd’hui, il ne s’agit pas de faire la guerre pour un coussin ou pour du blanc de poulet. Il s’agit de reconnaître que ces petits actes du quotidien sont symboliques. Et que chacun mérite de savoir ce qui est essentiel pour lui. Sans honte. Sans conflit. Avec simplicité.
Poser une limite, c’est reconnaître une ressource. La protéger. L’assumer. Et à partir de là, la relation aux autres devient plus saine. Plus vraie. Plus fluide. Parce qu’il n’y a plus besoin de se cacher. Parce qu’il n’y a plus de double jeu.
Le respect de soi commence souvent là : dans ce qui semble dérisoire. Et pourtant, c’est exactement là que tout commence.
